Le médecin expert « qui exerçait des responsabilités au sein de la principale organisation syndicale française de gynécologues-obstétriciens, avait, d’une part, pris parti, peu de temps avant la réalisation de l’expertise litigieuse et de manière publique, en expliquant qu’il était selon lui nécessaire que les gynécologues-obstétriciens soient mieux défendus devant les juridictions, d’autre part, mis en place, au sein de l’Union professionnelle internationale des gynécologues-obstétriciens, une commission dont il assurait la direction et qui était notamment chargée d’aider les gynécologues-obstétriciens à faire réaliser des expertises aux fins d’assurer leur défense devant les juridictions saisies de litiges indemnitaires dirigés contre eux ».
Dès lors, si l’exercice de responsabilités au sein d’organisations syndicales ou professionnelles de médecins n’est pas, par lui-même, de nature à faire obstacle à la réalisation d’une mission d’expertise, les circonstances de la présente affaire font que les requérants étaient fondés à mettre en cause l’impartialité du médecin expert.
CE, 23 oct. 2019, N° 423630
Etait en cause la limite d’âge de procréer d’un homme au regard des dispositions relatives à la procréation médicalement assistée.
Le demandeur était âgé de 61 et 63 ans à la date des prélèvements de ses gamètes.
Le Conseil d’Etat énonce que, compte tenu de son âge au moment du prélèvement de ses gamètes par rapport à la limite d’âge fixée en principe à 59 ans sur la base du large consensus existant dans la communauté scientifique et médicale, eu égard aux risques d’anomalies à la naissance et de maladies génétiques, le refus d’exportation de gamètes opposé au demandeur ne peut être regardé, eu égard aux finalités d’intérêt général que ces dispositions poursuivent, comme constituant une ingérence excessive dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
CE, 17 avril 2019, n° 420468
La victime, âgée de quatorze ans, est décédée des suites d’un accident ischémique survenu au cours d’une intervention chirurgicale.
Ses parents ont demandé des indemnités réparant, d’une part, les souffrances qu’elle avait enduré à la suite de l’accident médical, dont le droit à réparation leur avait été transmis par voie successorale, et, d’autre part, les préjudices qu’eux-mêmes et leurs deux filles mineures avaient subis du fait de son décès.
Leurs nouveaux conjoints respectifs, ainsi que les grands-parents maternels de la victime, ont demandé à être indemnisés des préjudices résultant pour eux de son décès.
Le Conseil d’Etat rappelle que, lorsque la victime a subi avant son décès, en raison de l’accident médical, de l’affection iatrogène ou de l’infection nosocomiale, des préjudices pour lesquels elle n’a pas bénéficié d’une indemnisation, les droits qu’elle tirait des dispositions précitées sont transmis à ses héritiers en application des règles du droit successoral résultant du code civil.
Il énonce également que la loi du 9 août 2004 ouvre un droit à réparation aux proches de la victime, qu’ils aient ou non la qualité d’héritiers, qui entretenaient avec elle des liens étroits, dès lors qu’ils subissent du fait de son décès un préjudice direct et certain.
Les nouveaux conjoints des parents de la victime, divorcés depuis 2006, se sont prévalus des liens affectifs qu’ils avaient noués avec cette dernière pour demander réparation au titre de la solidarité nationale du préjudice moral ayant résulté pour eux de son décès. Les parents de la victime en assuraient la garde alternée. Le Conseil d’Etat considère que leurs nouveaux conjoints respectifs, qui ont noué des liens affectifs étroits avec l’adolescente et ont été très présents à ses côtés, ont donc droit à être indemnisés de leur préjudice moral par l’ONIAM.
CE, 3 juin 2019, n° 414098
Etaient en cause dans deux affaires l’indemnisation des conséquences du handicap d’un enfant non décelé avant sa naissance.
Le texte applicable est l’article L. 114-5 du CASF qui commence ainsi : « Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance. »
La Cour d’appel de Nantes énonce qu’il ne résulte pas de ces dispositions « dont l’objet est uniquement d’exclure tout droit à réparation des préjudices de l’enfant et des charges particulières découlant de ces préjudices pour les parents ou pour les tiers, qu’en cas de faute caractérisée d’un établissement de santé seuls le père et la mère d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse peuvent demander à être indemnisés au titre de leurs préjudices propres, à l’exclusion des proches ayant subi un préjudice de même nature ».
Pour accorder une indemnité aux proches, la cour relève, d’une part, que la sœur du jeune D. B., qui n’avait que trois ans lors de la naissance de son frère, a été fortement affectée par le handicap de celui-ci, qu’elle a souffert des absences répétées de ses parents, et qu’elle a dû en conséquence être suivie au plan psychologique et, d’autre part, que les grands-parents et l’oncle ont activement soutenu les parents à l’occasion de la prise en charge de l’enfant.
CAA Nantes, 5 oct. 2018, n° 16NT03990 ; CAA Bordeaux, 4 déc. 2018, n° 16BX02831
Le Tribunal administratif d’Orléans avait été saisi par une victime s’étant faite implanter le 13 janvier 2010 des prothèses de la marque PIP.
Le Tribunal a considéré que l’Etat s’était fautivement abstenu d’agir entre avril 2009 et décembre 2009 dans l’exercice de sa mission de contrôle de police sanitaire des activités de la société PIP.
Le Tribunal relève en effet que les données de matériovigilance pour l’année 2008, reçues en avril 2009 par l’AFSSAPS, ont fait apparaître « une augmentation significative des signalements de rupture des membranes, outre que l’AFSSAPS a reçu le 26 octobre 2009 une alerte spécifique d’un chirurgien plasticien et le 26 novembre 2009 une délation sur le gel utilisé ».
L’Etat a donc été condamné à indemniser la victime de ses préjudices : déficit fonctionnel temporaire, souffrances endurées, préjudice moral.
TA Orléans, 9 mai 2019 (n° 1703560)
La Ligue nationale pour la liberté des vaccinations contestait le passage de trois à onze vaccins obligatoires pour les nourrissons nés après le 1er janvier 2018, décidé par la Ministre de la santé, Madame Agnès BUZYN.
Elle se fondait sur l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, garantissant le droit au respect de la vie privée, dont fait partie le droit à l’intégrité physique.
Le Conseil d’état considère qu’une vaccination obligatoire constitue certes une ingérence dans ce droit, mais qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l’objectif poursuivi.
Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d’une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d’autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l’efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu’il peut présenter.
Le Conseil d’Etat indique que les maladies concernées par les vaccins (notamment diphtérie, poliomyélite, tétanos) sont des infections graves.
Il considère que cette vaccination obligatoire apporte au droit au respect de la vie privée une restriction justifiée par l’objectif poursuivi d’amélioration de la couverture vaccinale pour, en particulier, atteindre le seuil nécessaire à une immunité de groupe au bénéfice de l’ensemble de la population, et proportionnée à ce but.
CE, 6 mai 2019, n° 419242
L’affaire était relative au décès par noyade d’un enfant de 4 ans dans une piscine.
La Cour de cassation énonce d’abord que la perte de sa vie ne fait en elle-même naître aucun droit à réparation dans le patrimoine de la victime.
Elle précise que seul est indemnisable le préjudice résultant de la souffrance morale liée à la conscience de sa mort prochaine. La Cour de cassation constate ensuite que la Cour d’appel ayant pu estimer qu’il n’était pas établi dans ce cas que l’enfant avait eu conscience de l’imminence de sa mort, celle-ci avait pu exactement en déduire que celui-ci n’avait pas transmis à ses parents un droit à indemnisation de ce chef.
Ainsi, seul est indemnisable et transmissible la souffrance morale liée à l’imminence de sa mort, à condition néanmoins que celle-ci soit prouvée.
Bien évidemment, les parents peuvent être indemnisés d’autres préjudices qu’ils ont eux-mêmes subis, comme le préjudice d’affection.
Cass. 2ème civ., 23 nov. 2017, n° 16-13948
La Cour de cassation énonce que le préjudice d’agrément est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs, mais que ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure.
Dans cette affaire, avant le dommage, la victime pratiquait, en compétition, un grand nombre d’activités sportives et de loisirs nautiques. Depuis les faits, qui l’avaient stoppé dans sa progression, la poursuite, en compétition, de ces activités ne pouvait plus se faire avec la même intensité, son état physique l’y autorisant seulement de façon modérée et ne lui permettant plus de viser les podiums. Il ne continuait à s’y livrer désormais que dans un but essentiellement thérapeutique. La Cour de cassation approuve la Cour d’appel de lui avoir accordé une indemnité au titre d’un préjudice d’agrément.
Cass. 2ème civ., 29 mars 2018, n° 17-14499
La Cour d’appel avait rejeté la demande d’expertise judiciaire et condamné, sur le fondement du rapport d’expertise amiable, le praticien à indemniser les demandeurs ainsi que la caisse, au titre d’une perte de chance, subie par l’enfant à hauteur de 70 %, de ne présenter aucune séquelle ou de conserver des séquelles moindres.
La Cour d’appel avait écarté les avis médicaux produits par le praticien, en retenant qu’ils se référaient à des recommandations du collège national des gynécologues et obstétriciens français édictées trois mois après la naissance de l’enfant, et n’étaient donc pas pertinentes dès lors que les données acquises de la science doivent s’apprécier à la date de l’événement examiné.
La Cour de cassation casse cependant cet arrêt en énonçant qu’un professionnel de santé est fondé à invoquer le fait qu’il a prodigué des soins qui sont conformes à des recommandations émises postérieurement et qu’il incombe, alors, à des médecins experts judiciaires d’apprécier, notamment au regard de ces recommandations, si les soins litigieux peuvent être considérés comme appropriés.
Cass. 1ère civ., 5 avril 2018, n° 17-15620
Les professionnels de santé et les établissements de santé engagent leur responsabilité en cas de faute, sur le fondement de l’article L. 1142-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique.
Les établissements de santé engagent leur responsabilité en cas de perte d’un dossier médical dont la conservation leur incombe. Une telle perte, qui caractérise un défaut d’organisation et de fonctionnement, place le patient ou ses ayants droit dans l’impossibilité d’accéder aux informations de santé concernant celui-ci et, le cas échéant, d’établir l’existence d’une faute dans sa prise en charge. Celle-ci conduit dès lors à inverser la charge de la preuve et à imposer à l’établissement de santé de démontrer que les soins prodigués ont été appropriés.
Lorsque l’établissement de santé n’a pas rapporté une telle preuve et que se trouve en cause un acte accompli par un praticien exerçant à titre libéral, la faute imputable à cet établissement fait perdre au patient la chance de prouver que la faute du praticien est à l’origine de l’entier dommage corporel subi. Cette perte de chance est souverainement évaluée par les juges.
La Cour de cassation énonce qu’à la suite de l’avis d’une CRCI concluant à la responsabilité d’un établissement de santé, du refus de l’assureur de ce dernier de procéder à une offre d’indemnisation et de la substitution à cet assureur de l’ONIAM, ce dernier se trouve, selon l’article L. 1142-15 du code de la santé publique, subrogé dans les droits de la victime, à concurrence des sommes qu’il lui a versées dans le cadre d’une transaction, contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur. L’ONIAM peut ainsi exercer une action à leur encontre au titre de la responsabilité consécutive à la perte du dossier médical d’un patient et à l’absence de preuve que les soins prodigués à celui-ci ont été appropriés. Le juge détermine alors, sans être lié par l’avis de la commission ni par le contenu de la transaction, si la responsabilité de l’établissement de santé est engagée et, dans l’affirmative, évalue les préjudices consécutifs à la faute commise, afin de fixer le montant des indemnités dues à l’ONIAM.
Dans cette affaire, ayant relevé que la polyclinique avait perdu le dossier médical de la patiente et n’était pas en mesure d’apporter la preuve qu’aucune faute n’avait été commise lors de l’accouchement, la cour d’appel avait retenu, à juste titre, que l’ONIAM était fondé à exercer un recours subrogatoire à l’encontre de cet établissement de santé et de l’assureur. Compte tenu des conditions d’exercice du praticien dont les actes étaient critiqués, la cour d’appel avait justement énoncé que la faute imputable à la polyclinique avait fait perdre à l’intéressée la chance d’obtenir la réparation de son dommage corporel qu’elle a souverainement évaluée à hauteur de 75 % des préjudices en résultant.
Cass. civ. 1ère, 26 sept. 2018, n° 17-20143