Actualité droit social

Le DRH amoureux de la syndicaliste

Un DRH avait caché à son employeur une liaison entretenue depuis près de 6 ans avec une représentante syndicale et du personnel, alors que cette salariée :

  • s’était investie dans des mouvements de grève et d’occupation d’un des établissements de l’entreprise lors de la mise en oeuvre d’un projet de réduction d’effectifs,
  • avait participé à plusieurs reprises, dans ses fonctions de représentation syndicale, à des réunions où le DRH avait lui-même représenté la direction et au cours desquelles avaient été abordés des sujets sensibles relatifs à des plans sociaux.

La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir considéré que le DRH, en dissimulant cette liaison, avait manqué à son obligation de loyauté, cette relation étant de nature à avoir une incidence sur le bon exercice de ses fonctions, même si aucun préjudice réel n’était prouvé. Le licenciement pour faute grave du DRH est donc validé.

C’est une application du principe selon lequel un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail, en l’occurrence la loyauté.

Cass. soc. 29 mai 2024 n° 22-16.218


Les modalités d’acquisition de congés payés après la loi du 23 avril 2024

Pour 𝗿𝗲𝗺𝗲́𝗱𝗶𝗲𝗿 à l’incompatibilité des modalités légales d’acquisition des congés payés avec la jurisprudence de la CJUE (Cass. soc. 13 sept. 2023 n° 22-17.340 et 22-17.638), la loi du 23 avril 2024 prévoit dorénavant les 𝗺𝗼𝗱𝗮𝗹𝗶𝘁𝗲́𝘀 𝘀𝘂𝗶𝘃𝗮𝗻𝘁𝗲𝘀 :

Désormais, tout arrêt maladie ouvre droit à congés payés, quelle qu’en soit l’origine (art. L. 3141-5 C. trav.).

La nouvelle loi prévoit que pour les périodes d’arrêt de travail pour cause d’accident ou de maladie non professionnels, bien qu’assimilées à du travail effectif :

  • n’ouvrent droit qu’à 2 jours ouvrables (au lieu de 2,5 dans le cas général) de congé par mois,
  • dans la limite de 24 jours ouvrables par période de référence, soit 80 % de la durée normale, qui est de 30 jours dans le cas général (C. trav. art. L 3141-5-1).

Corrélativement, les règles de calcul de l’indemnité de congés payés sont ajustées :  pour le calcul selon la règle « du dixième », les absences pour accident ou maladie non professionnels sont considérées comme ayant donné lieu à rémunération en fonction de l’horaire de travail de l’établissement, mais cette rémunération est prise en compte dans la limite de 80 % (C. trav. art. L 3141-24, I)

Rien ne change en revanche pour les arrêts de travail résultant d’un accident ou d’une maladie d’origine professionnelle : le salarié acquiert des congés à hauteur de 2,5 jours ouvrables par mois d’absence, soit 30 jours ouvrables en cas d’absence pendant toute la durée de la période de référence.

A l’issue d’une période d’arrêt de travail pour cause de maladie ou d’accident, l’employeur informe le salarié, dans le mois qui suit la reprise du travail, les informations suivantes, par tout moyen (notamment par le bulletin de paie) :

  • Le nombre de jours de congé dont il dispose,
  • La date jusqu’à laquelle ces jours de congé peuvent être pris.

Lorsqu’un salarié est dans l’impossibilité, pour cause de maladie ou d’accident (professionnel ou non), de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés qu’il a acquis, il bénéficie d’une période de report de 15 mois afin de pouvoir les utiliser.

La loi prévoit des modalités d’application de cette période de 15 mois en fonction de la durée de l’arrêt de travail.

La loi est rétroactive au 1er décembre 2009, ce qui signifie ces nouvelles dispositions sont applicables pour la période courant du 1er décembre 2009 à la date d’entrée en vigueur de la loi.

Enfin, toute action ayant pour objet l’obtention de jours de congés doit être introduite, à peine de forclusion, dans un délai de 2 ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi.


N’annoncez surtout pas son licenciement au salarié avant l’envoi de la lettre !

Dans cette affaire, le salarié avait réussi à prouver que l’employeur lui avait annoncé par téléphone son licenciement le jour de l’envoi de la lettre de licenciement.

L’employeur se défendait en soutenant qu’il avait pris soin de prévenir ainsi le salarié dans son intérêt, aux fins de lui éviter de se présenter à une réunion et de se voir congédier devant ses collègues de travail.

La Cour d’appel, puis la Cour de cassation, ont considéré qu’il s’agissait d’un licenciement verbal, automatiquement dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 3 avril 2024, n° 23-10.931).

Si l’employeur avait réussi à démontrer que, ce jour-là, la lettre avait été postée avant l’annonce par téléphone, ce qui aurait modifié le sens de la décision puisque la date du licenciement est fixée à l’envoi de la lettre (Cass. soc., 28 sept. 2022 n° 21-15.606).

De même, lors de l’entretien préalable au licenciement, il convient surtout d’éviter d’annoncer au salarié que la décision est prise de le licencier, mais lui indiquer qu’un licenciement est simplement envisagé.


Production en justice de preuves illicites : deux nouvelles illustrations

En décembre 2023, la Cour de cassation a opéré un revirement important, alignant la position en matière civile tant avec le droit européen qu’avec le droit pénal (Cass., Ass. plénière, 22 déc. 2023, n° 20-20.648).

Jusqu’alors, étaient écartées systématiquement des débats le preuves déloyales (obtenues à l’insu) ou illicites (vidéosurveillance en dehors des conditions légales par exemple).

La Cour de cassation énonce maintenant que le juge doit alors apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits contraires en présence.

Ainsi, le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Deux nouvelles illustrations :

– Cass. soc. 14 févr. 2024 n° 22-23.073 : exploitation d’images de vidéosurveillance illicites. Un recoupement des opérations enregistrées à la caisse de la salariée (par vidéo/ par journal informatique) avait révélé au total dix-neuf anomalies graves en moins de deux semaines. La Cour de cassation approuve la communication des images vidéo car le visionnage des enregistrements avait été limité dans le temps (du 10 juin au 27 juin), dans un contexte de disparition de stocks, après des premières recherches restées infructueuses et que ce visionnage avait été réalisé par la seule dirigeante de l’entreprise. Elle en déduit que la production de ces images était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et proportionnée au but poursuivi.

– Cass. soc. 17 janv. 2024 no 22-17.474 : un salarié, s’estimant victime d’un tel harcèlement avait produit l’enregistrement clandestin des membres du CHSCT pour justifier l’existence d’un harcèlement moral à son encontre. La Cour de cassation confirme le rejet de cette preuve au motif que sa production n’était pas indispensable au soutien de la demande du salarié, car les autres éléments de preuve qu’il avait produits permettaient déjà de laisser supposer l’existence du harcèlement moral.


Télétravail : le salarié a-t-il droit à une indemnité d’occupation de son domicile ?

Si le télétravail est effectué à la demande de l’employeur, le salarié a droit à une indemnité au titre de l’occupation de son domicile à des fins professionnelles (Cass. soc. 14-9-2016 no 14-21.893).

Le salarié a également droit à une telle indemnité si un local professionnel n’est pas mis effectivement à sa disposition (Cass. soc., 12 décembre 2012, n°11-20.502).

Logiquement, aucune indemnité n’est due si le salarié demande à télétravailler alors qu’un tel local est effectivement mis à sa disposition (Cass. soc. 4-12-2013 n° 12-19.667).

Solution récente : si le télétravail a été prescrit par le médecin du travail, le salarié est en droit de percevoir une indemnité d’occupation de son domicile, même si un local est effectivement mis à sa disposition par l’employeur (CA Paris 21-12-2023 n° 20/05912).


Salaire variable : attention à fixer les objectifs en début d’exercice !

L’employeur peut fixer unilatéralement les objectifs du salarié dans le cadre de son pouvoir de direction.

Cependant, ceux-ci doivent être réalisables et portés à la connaissance du salarié en début d’exercice. A défaut, le montant maximum prévu pour la part variable doit être payé intégralement comme si le salarié avait réalisé ses objectifs.

Dans cette affaire, pour un exercice d’octobre N à septembre N + 1, l’employeur avait seulement prévenu le salarié en novembre N que ses objectifs seraient revus en janvier N+1.

Les objectifs n’ayant donc pas été fixés en début d’exercice, la Cour de cassation énonce que le salarié était pour cette seule raison en droit de percevoir le maximum de son salaire variable.

Cass. soc. 31 janvier 2024 n° 22-22.709


Mutation : la fatigue et les frais liés à l’usage du véhicule personnel, nouveau critère d’appréciation.

Une salariée avait été informée que son lieu de travail devait être transféré d’une localité à une autre. Ayant refusé d’intégrer son nouveau lieu de travail, elle a été licenciée pour faute grave le 22 mai 2014.

En l’absence de clause de mobilité, une mutation géographique ne constitue pas une modification du contrat de travail soumise à l’accord du salarié si le nouveau lieu de travail est situé dans le même secteur géographique.

La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel qui avait décidé que les localités n’étaient pas situées dans le même secteur géographique, pour les raisons suivantes :

  • Les deux localités, distantes de 35 kilomètres, n’étaient n’est pas situées dans le même bassin d’emploi,
  • Au vu des horaires de travail, le covoiturage était difficile à mettre en place,
  • Rien ne démontrait que les transports en commun étaient facilement accessibles entre les deux communes aux horaires de travail de la salariée,
  • L’usage du véhicule personnel, en matière de fatigue et de frais financiers, générait, en raison des horaires et de la distance, des contraintes supplémentaires.

Si les 3 premiers critères sont classiques, le dernier est nouveau dans l’appréciation de la modification de secteur.

Cass. soc. 24 janvier 2024 n° 22-19.752


Congé paternité : l’employeur ne peut invoquer les manquements professionnels au titre de l’impossibilité de maintenir le contrat.

L’employeur ne peut rompre le contrat de travail d’un salarié pendant les 10 semaines suivant la naissance de son enfant, sauf s’il justifie d’une faute grave de l’intéressé ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant (art. L. 1225-4-1 du code du travail).

En l’espèce, au titre de l’impossibilité de maintenir le contrat de travail, l’employeur avait invoqué des manquements professionnels du salarié, sans lien avec la naissance de son enfant.

Pour la Cour d’appel, ce type de grief ne pouvaient caractériser l’impossibilité de maintenir le contrat de travail, ce qui a été validé par la Cour de cassation. Cass. soc., 27 sept. 23, n° 21-22.937

Exemple de grief constituant l’impossibilité de maintenir le contrat : nouvelle répartition des secteurs de vente décidée en raison des difficultés économiques de l’entreprise, la salariée enceinte, dont le secteur avait été absorbé, ayant refusé un nouveau secteur géographique malgré la clause de mobilité incluse dans son contrat de travail (Cass. soc. 24-1-1996 n° 92-42.682)


Maternité : pas de convocation à l’entretien préalable au licenciement pendant la période de protection absolue

Il est interdit à un employeur, non seulement de notifier un licenciement, quel qu’en soit le motif, pendant la période de protection absolue (congé maternité et congés payés pris immédiatement après), mais également de prendre des mesures préparatoires à une telle décision.

L’envoi d’une lettre de convocation à l’entretien préalable constitue une telle mesure préparatoire, peu important que l’entretien ait lieu à l’issue de cette période.

Dans cette affaire, le contrat de travail de la salariée a été suspendu du 8 septembre 2017 au 24 janvier 2018, en raison de son congé maternité et des congés payés pris immédiatement après, la reprise effective du travail étant fixée au 25 janvier 2018.

Par lettre du 16 janvier 2018, l’employeur l’a convoquée à un entretien préalable fixé au 10 avril 2018. L’intéressée a accepté le contrat de sécurisation professionnelle le 1er mai suivant.

Ainsi, la convocation à entretien préalable avait été envoyée pendant la période de protection absolue, ce qui aurait dû entraîner la nullité du licenciement. L’arrêt de la Cour d’appel est donc cassé.

Cass. soc., 29 novembre 2023, n° 22-15.794


Frais de carburant : l’employeur peut demander au salarié de lui restituer ceux réalisés à des fins personnelles.

L’employeur demandait le règlement des frais de carburant réalisés à des fins personnelles, pendant les jours de repos, les vacances, les jours fériés et week-end de la salariée.

La Cour d’appel avait débouté l’entreprise en énonçant que les règles d’utilisation de la carte carburant et du véhicule de service n’avaient pas été notifiées à la salariée, ou trop tardivement pour lui être opposables.

La Cour de cassation casse cependant cet arrêt en considérant que l’employeur ne s’était engagé à prendre en charge que les dépenses de carburant à des fins professionnelles, et non celles réalisées à des fins personnelles.

La Cour de cassation réitère ainsi le principe selon lequel la restitution de l’indu n’est pas subordonnée à l’absence d’erreur ou de faute de celui qui a payé. Seule la preuve de l’intention libérale de l’employeur aurait pu empêcher le remboursement.

Cass. soc. 8 nov. 2023 n° 22-10.384